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28 Nov

ATTRACTION EXTATIQUE

Publié par Charles  - Catégories :  #Aventures

Photo DR

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Je descends la rue en ce jour qui tend inexorablement vers la nuit comme à son habitude. Journée normal pour des centaines de gens du quartier s’en allant vers le supermarché, quittant le cordonnier, guettant le bus tant attendu, traversant le passage piéton, quoi d’autre ? La routine. Les gens se croisent, s’ignorent, vont et viennent avec la faible probabilité de marcher du pied droit dans une merde canine qui n’a pas été ramassée à temps ; la chaussure s’enfonce dans ladite merde, il est déjà trop tard.

Je suis là seul, lève les yeux vers le ciel, c’est une attraction et je me rends compte qu’à ce moment précis, elle n’est pas universelle, loin de là et pourtant si proche. Le ciel que j’observe est sidérant, coloré d’un orange grisonnant : il s’agit en fait de nuages comme des boules de coton se déplaçant lentement vers un but inconnu de vous, de moi. D’un seul coup, au loin, dans la perspective de la rue, encastré entre les immeubles, le ciel est magnifiquement bleu, j’en ai le souffle coupé. Le contraste est saisissant. Un bleu pur, solaire, un bleu de novembre : comment est-ce possible ?

Je suis époustouflé, éberlué, par ce spectacle mobile et immobile, un chef d’œuvre éphémère du ciel et toujours je suis seul au milieu de la gesticulation urbaine. C’en est trop, je n’en peux plus, les gens doivent voir, il faut qu’ils voient. J’étouffe qu’ils ne voient pas, ne s’arrêtent pas. J’aborde un homme et lui demande, je ne sais pourquoi, s’il aime la peinture ? L’homme en question me fuit instantanément comme si j’avais la peste, je l’appelle, il a déjà disparu. Il portait un chapeau. Aucun passant ne s’est encore arrêté, le spectacle est gratuit pourtant, juste quelques minutes d’attention à dépenser : trop cher. Je me sens de plus en plus seul à ne pas pouvoir partager ce moment unique sublime. Une femme serait toute indiquée, justement en voilà une qui stoppe sa marche et prend une photo dans le bon axe. Je vais vers elle, l’aborde, lui parle, la remercie de regarder l’imprévisible beauté qui s’offre, me dit un mot puis disparaît aussi vite qu’un courant d’air. Un courant de femme d’air, un courant d’air de femme. J’aborde un autre homme qui s’apprêtait à emprunter le passage piéton contigüe à mon poste d’observation, il a peur immédiatement, bredouille, me fuit comme si la Méphistophélès frappait à la porte de son âme.

Une toile de maître est à la portée de nos yeux à tous mais personne pour la regarder : y’a-t-il un peintre ici ?

Quelles couleurs ! Quel relief ! Quelle architecture ! Quelle lumière ! Quel collage ! Pinceau de Dieu !

Le monde vaque à ses occupations, plus personne ne regarde le monde ou si peu. Je reste un quart d’heure devant ce tableau vivant qu’aucune technologie, jamais, ne saurait reproduire.

Tant de monde mais personne. Mon nom est personne. C’est beau de voir ce beau, c’est horrible, tant c’est beau, de le voir seul dans une indifférence que soutient le bitume de la ville de ce quartier.

Pas de quartier pour le beau ! Dehors le rêveur ! Crève le contemplateur ! Aux chiottes le romantisme ! Nous on préfère notre petite probabilité de marcher dans la merde.

Seul. Extatiquement seul. Parmi vous, eux, lui, elle.

Ohé y a t-il quelqu’un ? Voyez-vous ?

Oyez, Oyez, bonne gens ! Le ciel a quelque chose à vous dire ! Le voyez-vous ?

Non, rien, que dalle sur la dalle que les gens arpentent sans lever les yeux vers le ciel.Ca y est, c’est bientôt fini, dans dix minutes le rideau de la nuit va bientôt tomber sur cette scène ou l’hiver commence à s’installer et pourtant quel bleu ! Quel orange ! Comment est-ce possible ?

Un passant vient de marcher dans une merde près d’un arbre juste à côté de l’abri bus ou tant de gens s’impatientent. Comment est-ce possible ? L’homme baragouine je ne sais quoi, tente de nettoyer l’infâme caca canin avec un improbable mouchoir en papier.

J’en ai marre.

Il est grand temps de rentrer dans mon habituelle petite boulangerie, d’y faire la queue afin d’acheter ma demi-baguette à cette vendeuse au visage sévère perpétuel et de rejoindre urgemment mon petit logis pour enfin me gratter le trou du cul. Ca me démange.

 

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A
On dirait du Jean Paul Bourre de radio Ici et Maintenant. Magnifiques illustrations.
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À propos

littéraire et hédoniste