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18 Dec

DE LA PHENOMENOLOGIE DES MARGES

Publié par André  - Catégories :  #Belles lettres

© Alessandre Didi

© Alessandre Didi

Franz Kafka refusa longtemps de faire publier ses écrits.

Finalement il y consenti grâce à la pression amicale de son ami Max Brod. Seulement il insista sur un point : que l’on éditât ses livres avec de grandes marges car, disait-il : « je sais qu’il y a des lecteurs, qui lisent la plume à la main. »

Alors les marges sont-elles un lieu de dialogue entre l’écrivain et ses lecteurs ?

Pas seulement.

Nous nous souvenons tous de nos feuilles et cahiers d’écoliers, où les marges servaient de lieu d’annotations ou de commentaires pour le professeur. Alors les marges sont-elles des espaces de corrections et d’évaluations ?

Pas seulement.

La phénoménologie est un concept inventé par le philosophe Edmond Husserl, il propose de retrouver le sens oublié voire impensé d’un objet ou d’une idée, enfoui sous les sédiments des l’habitudes. Une scolastique est née et les épigones d’Husserl ont baptisé cette nouvelle manière de décrire et d’analyser : Marges.

Nous nous trouvons désormais devant une amphibologie, un signifiant et plusieurs signifiés.

A ce titre E. Lévinas écrit dans De Dieu qui vient à l’idée : « La manière dont on y accède est essentielle au sens-même du thème. »

Cette doctrine a été introduite en France par Raymond Aron.

 

Mais déjà des Kabbalistes de la Renaissance avaient capté le système. De façon un peu provocatrice, ils définissaient le textes - quels qu’ils soient - comme « Feux noirs sur feux blancs ».

Prétextant que c’est le blanc des marges qui donne le sens, ils proposent des ruptures entre les lettres pour écrire des mots, entre ceux-ci pour écrire des phrases, pour ouvrir et fermer des paragraphes et ainsi écrire des livres, les rendre lisibles ouverts à l’infini des interprétations. Ces kabbalistes ne parlaient pas alors de phénoménologie ni de « Marges », mais utilisaient les mots : vide, néant, abîme, horizon, chemin.

Pierre Reverdy écrit dans Le livre de mon bord :

« Marge de nos rêves »

« Marge des possibles »

« Là où séjourne le plus vrai qui ne se montre jamais. »

 

Cette idée de placer en exergue le vide, le néant ou le blanc du texte qui constituent le sens, existe dans plusieurs civilisations.

Lao-Tseu écrit dans le Tao Te King :

« Bien que trente rayons convergent au moyeu »

« C’est le vide médian qui fait marcher le char »

« L’argile est employé à façonner des vases »

« Mais c’est du vide interne que dépend leur usage »

« Il n’est chambre où ne soient percées porte et fenêtre »

« Car c’est le vide encore qui permet l’habitat »

« L’être a des aptitudes que le non-être emploie.»

 

Pour en revenir au texte, tous ces vides et blancs de marge consacrent l’accès au monde de la signification. Les marges constituent la respiration du texte, ainsi l’écrit Alexandre Gefen dans Les blancs du texte

« Des blancs qui désignent ce pourquoi le monde résiste ou dépasse la représentation ».

Avec les blancs le texte reste pourtant le même, le sens semble identique et paradoxalement déjà autre. Ne pas honorer les blancs, rend le texte informe et impropre à la lecture.

 

« Le monde a aussi des marges naturelles »

« Blanches aussi »

« Belles et silencieuses »

« La banquise. »

Herman Melville. Moby Dick

 

Pour le philosophe Bertrand Russel, le vide n’est pas le rien mais le… double – mais ceci est une autre histoire.

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C
Article intéressant quoique trop court. Je pense qu'il y a une différence entre le vide et la marge.
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À propos

littéraire et hédoniste