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21 Apr

L'HERMENEUTIQUE PEUT-ELLE CASSER DES BRIQUES

Publié par André  - Catégories :  #Belles lettres

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Lire, c'est interpréter.

 

 

Comprendre, c'est déjà et toujours interpréter

ou encore : comprendre renferme toujours une interprétation

Paul Ricœur, Du texte à l'action.

 

 

Il s'agit ici de se soucier des grands textes et des grands livres, ceux qui bouleversent le cœur et l'esprit, ceux qui enfantent des paradigmes, ceux qui enfin extirpent l'être de son immobilisme, de son prêt à penser, englué dans le déjà-écrit, dans le déjà-là.

 

 

Roland Barthes et S/Z.

 

L'art d'interpréter un texte se nomme « herméneutique ». C'est d'ailleurs ce mot qu'emploie Barthes, pour introduire son système.

L'art d'interpréter n'est ni une coquetterie littéraire, ni un jeu, mais bien une attitude fondatrice de l'esprit humain. C'est avant tout un outil, une méthode, qui excitent et mettent en mouvement les fonctions spirituelles, intellectuelles et même affectives du lecteur. Grâce à l'interprétation s'engage une dynamisation de la pensée en lui octroyant sa mission essentielle d'activité d'invention, d'ouverture, de création et d'imagination qui produisent enfin un déblocage effectif des voies de l'esprit.

Pour se faire une idée précise, et s'initier, référons-nous au livre de Roland Barthes : S/Z Sarrasine

aux éditions du Seuil collection Points essais. L'auteur interprète la nouvelle éponyme de Balzac – éblouissant.

Barthes crée cinq niveaux de lecture : Le sens herméneutique (mise en évidence des éléments qui organisent le récit), le sens sémique (mise en évidence des caractères des personnages), le sens symbolique ( mise en évidence des échanges), le sens proaïrétique (mise en évidence des séquences d'action) et enfin le sens culturel (mise en évidence des stéréotypes de l'époque) ainsi toutes les disciplines peuvent être abordées : philosophique, politique, symbolique, psychanalytique, sociologique, linguistique, et la liste n'est pas exhaustive bien sûr.

Lisons ce qu'écrit Umberto Eco à ce sujet dans l'œuvre ouverte « l'ouverture ne signifie pas indétermination ou relativisme de la communication « infinies »possibilités de la forme, liberté d'interprétation. Le lecteur a simplement à sa disposition l'éventail de possibilités soigneusement déterminées et conditionnées de façon que la réaction interprétative n’échappe jamais à l'auteur ».

 

Le texte est un partenaire.

 

Interpréter le texte, c'est d'abord dialoguer avec lui, l'interprétation n'est pas uniquement lecture, mais surtout constitutive de sens, il ne doit pas avoir de distance entre le texte et le lecteur, pas de neutralité. Il s'agit de comprendre le texte, mais pas seulement, car interpréter le texte c'est aussi se comprendre soi-même au-delà de l'écrit, se démasquer, s'étonner et s'inventer en s'impliquant, en mettant en scène sa personnalité dans la re-création de sens, c'est ce qu'explique Serge Vidermann dans : Le Céleste et le sublunaire, PUF.

« Le texte devient le lieu d'une expérience singulière privilégiée, d'une recréation dont chaque lecteur peut devenir le centre, pour peu qu'il veuille sortir de cette passivité où il s'appauvrit, qui l'isole du texte dont le sens lui échappe toujours en grande partie et nécessairement, puisque fixé par l'auteur n'appartenant qu'à l'auteur, le lecteur n'y a aucune part.

Que le lecteur apprenne qu'il n'est pas le spectateur ébloui ou ennuyé d'une histoire faite ailleurs avec laquelle il n'a pas maille à partir. Qu'il sache seulement que le texte lui parle de lui et de sa propre histoire et aussitôt lui apparaîtra la pluralité des sens possibles. Le lecteur apprendra que le texte lui apporte, dans un langage codé qu'il n'appartient qu'à lui de décoder, le souffle de sa vie la plus lointaine, ensevelie, indicible. C'est dire qu'il n'y a pas de sens fixé du texte, que la vérité du texte est partout et nulle part, que chacun a le pouvoir de faire exister, de décider des sens... ».

 

 

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Interpréter, à quoi ça sert ?

 

L'interprétation est donc dialogue, le dialogue avec le texte permet de rappeler qu'aucun écrit ne peut s'imposer définitivement et devenir dogme et s'identifier à une vérité absolue. Ce qu'écrit Catherine Chalier dans la Patience : passion de la durée consentie chez Autrement est édifiant.

« Contrairement aux prétentions de l'idéologie, le sens se construit patiemment, qu'il ne s'identifie pas à une vérité toute faite, qu'il suffirait de s'approprier une fois pour toutes et d'imposer aux autres ».

L'interprétation herméneutique, ébranle l'esprit, dans le sens où la recherche intellectuelle est là pour, comme l'écrit Flaubert, ne pas céder «  à la rage de conclure ».

 

Limites de l'herméneutique.

 

Interpréter n'est pas, s'abandonner à l'anarchie des sens, interpréter n'importe comment, « dire n'importe quoi », parler en dépit du bon sens. Il ne s'agit pas d'opinions. Comme l'écrit Robert Maggiori dans, De la convivance chez Fayard : « Si le débat démocratique est fondé sur l'égalité de droit de tout dire, cela ne veut pas dire qu'il y a une égalité sémantique de tous les dires. « Qu'on ne fasse pas passer l'égalité des droits à l'expression pour l'égalité des expressions »

D'autres parts les limites de l'interprétation sont éthiques. Jamais une interprétation n'est légitime si elle porte la violence, et la destruction à l'égard de l'autre. C'est seulement dans ces augures que l'interprétation existentielle gagne sa potentialité d'à-venir.

A ce stade, il serait intéressant d'analyser la relation révolutionnaire qui existe entre herméneutique et politique, mais ce sera pour la prochaine fois peut-être...

 

 

Je prends tous les morceaux. Je n'ai point à changer les morceaux.

Mais je les noue dans un autre langage.

Et le même être ira différemment.

Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle

 
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littéraire et hédoniste